Culture du présentéisme au travail, un mal silencieux

Enrhumée ou épuisée, vous vous sentez « obligée » d’aller travailler, même sans être à 100% de vos capacités. Décryptage du « présentéisme », un mal qui doit sa discrétion à sa banalité.

Le présentéisme possède divers visages, dont celui donné par le Larousse : « Fait d’être assidûment présent, notamment sur le lieu de travail ». L’assiduité n’a jamais été un mal. Être présent sur son lieu de travail non plus. Mais le présentéisme est une notion bien plus complexe, qui s’affuble d’un masque sournois lorsque la question de la contrainte s’en mêle.

Selon le psychologue du travail Sébastien Hof, le présentéisme « contraint » est le fait de ne plus être en capacité de travailler mais de se sentir obligé de rester au travail. « On essaye de retrouver une efficience, une efficacité », explique-t-il. « Dans le présentéisme il y aussi ceux qui sont malades, qui ne devraient pas être là et qui viennent quand même », ajoute-t-il. Il est important de distinguer l’implication et la motivation du phénomène du présentéisme évoqué ici : « Bien évidemment, il y a des personnes qui sont très impliquées, mais finalement, on est tous construits pour faire du bon boulot. C’est presque la normalité d’être impliqué », souligne Sébastien Hof.

Le côté obscur du présentéisme trouve son origine dans l’organisation du travail. « Les employeurs donnent des objectifs irréalistes et irréalisables, ils peuvent mettre en oeuvre des pratiques délétères. On place un dossier sur le bureau 5 minutes avant que la personne ait fini sa journée », témoigne le psychologue bisontin. Faire des horaires à rallonge, être surchargé·e, venir au travail souffrant·e : c’est l’histoire de beaucoup de Français, l’histoire d’un quotidien.

Présentéisme : pourquoi est-il si répandu ?

« Parmi les patients que je peux voir, il y en a tout un tas qui sont concernés par ce phénomène », remarque Sébastien Hof, malheureusement habitué à cette problématique. « On regarde beaucoup l’association entre travail et horaires : on est bon que si on reste longtemps au bureau ». Et, en conséquence de cette mentalité, des pratiques douteuses jaillissent entre collègues. Une petite réflexion pinçante, un trait d’ironie mal placé… « Ah, tu as déjà fini ? », « Tu pars à 17 h, t’as pris ton aprèm’ ? ». « Tout le monde intègre ces normes néfastes et ce n’est même pas forcément de la part du manager, mais du collectif. Il y a de plus en plus de concurrence entre les gens », remarque le spécialiste de la souffrance au travail.

On est bon que si on reste longtemps au bureau […]Tout le monde intègre ces normes néfastes.

Le présentéisme n’est pas uniquement – ou forcément – la conséquence d’une pression exercée par un groupe. Il a, comme énoncé précédemment, de nombreux visages qui rendent sa définition difficile. D’une part, certains restent pour ne pas dénoter par rapport aux collègues, d’autre part, il a ceux qui subissent une surcharge de travail. Infaisable dans les horaires impartis. « Les tâches s’accumulent et les imprévus surviennent quotidiennement. C’est donc du temps supplémentaire à prendre dans la journée pour tout gérer. Forcément, il y a un présentéisme plus accru », analyse Sébastien Hof. « Le salarié n’a pas d’autres choix que d’augmenter son temps de travail pour concilier toutes les contraintes », surenchérit-il.

Plus les heures passées au bureau sont nombreuses, plus l’on est susceptible d’être considéré·e comme un bon élément. Un lien de cause à effet culturel ?

Une question de culture et de management

« Dans certaines cultures, rester longtemps au travail est presque synonyme d’inefficacité. Ce n’est pas parce qu’on est au boulot qu’on est productif », constate à juste titre Sébastien Hof. Si l’aspect culturel du présentéisme est indéniable, les entreprises ne se basent (heureusement) pas toutes sur ce principe. On trouve différentes écoles, dont deux se démarquent.

« Est-ce que je considère mes salariés comme des fainéants ? » Pour l’employeur dont la réponse est affirmative, le temps passé au bureau reste le point d’orgue de la productivité. « Lorsque l’on est dans le contrôle absolu, on assiste à des comportements de présentéisme. L’important c’est d’être au boulot », explique le spécialiste. Parallèlement à cette vision, un autre type de management se distingue, celui de la confiance. « En ayant confiance, le temps de travail n’est pas le problème, l’employeur donne aux salariés les moyens de pouvoir faire leur boulot ».

Des conséquences physiques et mentales

Une étude Malakoff Mederic dévoilait qu’au cours de l’année 2016 près de 20% des arrêts maladie prescrits n’avaient pas été suivis (pas en totalité ou carrément pas du tout). Les raisons évoquées par les personnes interrogées ? « Ne pas se laisser aller » à 48%. Les raisons financières viennent seconder le premier constat (29 %). Puis s’ajoute à cela la crainte d’avoir une charge de travail trop importante au retour de l’absence, la pression hiérarchique, et enfin l’impossibilité de déléguer. « La pression mise de façon directe ou indirecte est énorme », constate Sébastien Hof. « ‘Je culpabilise d’être en arrêt car je mets mes collègues dans une posture difficile’ : c’est une pression indirecte », explique-t-il. Aussi multiples soient-elles, les contraintes ressenties par le travailleur l’incite à être présent alors qu’il ne devrait pas. Si les conséquences ne sont pas toujours désastreuses, elle peuvent être graves. Voire très graves.

Le corps veut nous arrêter. Parfois, on est obligé de stopper les gens.

« L’épuisement professionnel, le fameux burn out, c’est l’une des situations que l’on rencontre le plus régulièrement. Cet épuisement est aussi issu du présentéisme, avec une fatigue de plus en plus croissante ». Maux de tête, dos coincé ou douloureux, irritabilité, perte de mémoire et même d’équilibre… Il s’agit des premiers signes extérieurs d’un mal-être intérieur. Puis les symptômes grandissent, s’intensifient. La boule au ventre se fait fréquente, la fatigue intense. « Le corps veut nous arrêter », atteste le psychologue.

Après toutes ces manifestations, une réaction aussi surprenante qu’inquiétante arrive : la déshumanisation. « Plus rien ne nous touche, il y a comme une froideur émotionnelle. Ce sont des pathologies dites de ‘surcharge’ qui surviennent. Cela peut aller jusqu’au suicide », prévient Sébastien Hof. Sortir du labyrinthe avant le drame, c’est là tout l’enjeu des professionnels de la psychologie et de la santé. Leur intervention est incontournable lorsqu’une personne est en détresse : « Parfois, on est obligé de stopper les gens. Il faut les sortir de leur milieu, ne ce serait-ce que temporairement », observe le spécialiste.

Présentéisme : soigner ses effets sans guérir sa cause

Comment se préserver ? Où poser ses limites ? Les réponses sont difficiles à donner. Difficiles si nous sommes seul·e·s dans cette démarche de protection, seul·e·s face à une équipe qui n’agit pas comme nous. Les attitudes qui se démarquent peuvent stigmatiser une personne. Être « l’original·e » de la boîte n’est pas un statut forcément facile à assumer.

Réparer les travailleurs brisés est une bataille. Une bataille sans fin. Sébastien Hof, lui, regrette qu’on ne soigne « que » les pots cassés. « C’est un peu frustrant car on vient agir sur l’individu, on soigne les conséquences. Mais il faudrait s’attaquer aux causes, soigner l’organisation du travail« .

 

 

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